Interview de Marie-Fa Lazzari
par la journaliste Pauline Savatier
de La Maison de la Lozère à Paris.
13 Janvier 2024
Marie-Fa Lazzari présente “Une part de Merveilleux” à La Maison de la Lozère à Paris du 24 Novembre 2023 au 14 Mars 2024. C’est la 15ème exposition de l’année pour l’artiste aux origines lozériennes. Nous avions envie d’en savoir un peu plus sur son travail.
Tu es photographe. Tes œuvres semblent pourtant avoir parcouru un long chemin avant que tu les exposes. Peux-tu me parler de ton processus de création entre l’objectif de ton appareil et l’impression finale ?
« Chaque photo est un regard signé » écrit Bernard Noël dans « Journal du Regard ». L’œil du photographe s’aventure, capte une lumière et change le monde en photographie. Quand je réalise une photographie, il y a en moi un état intuitif, émotionnel. Voir le monde autrement tel qu’on ne pouvait l’imaginer. Cadrer une portion de ce monde me donne à voir de quoi lire et penser ce monde. Cette étape du regard est essentielle. Je pars toujours d’une réalité. Dans mes œuvres, c’est un ingrédient de base, le terreau nécessaire. Derrière mon objectif, dans un mouvement de transmutation, j’assiste alors à la recréation d’un monde pour atteindre un paysage nouveau, une autre terre.
J’aime saisir l’instant. J’ai le désir d’être au plus proche d’une vision d’auteur tout en sobriété et finesse, une vision touchant une quotidienneté toute naturelle sans artifice. Aller à l’essentiel pour tendre vers une poétique du beau. Tout devient réceptacle en émerveillement devant la vie en m’ouvrant sur une atmosphère méditative et sensible.
Une fois la prise de vue réalisée, j’aime travailler avec la matière en choisissant pour mes tirages du papier texturé, du papier coton. Je cherche le meilleur support pour mes images, pour valoriser et transmettre l’émotion.
J’aime aussi la métamorphose, la magie de l’émerveillement et le mystère. Je ressens la nécessité de fragmenter cette réalité photographiée par un travail de composition, de montage auquel s’ajoute un travail sur la couleur, sur la forme et sur la matière.
J’utilise la photographie comme un peintre utilise sa palette. La fragmentation est au cœur de mon travail créatif. A partir du réel capté, je transcende l’image en visions insolites et oniriques en créant des univers investis de poésie où l’imaginaire côtoie le merveilleux.
Je ressens le besoin d’explorer et de travailler l’image : métamorphoser le réel, s’aventurer vers d’autres univers en m’ouvrant sur un espace imaginaire qui me captive. Pour cela, j’use de diverses techniques. Fragments de réalité et forces créatives se mêlent alors pour une recherche plus graphique.
Mon processus de création est ainsi un chemin de découvertes, de respirations, d’ouvertures, de regards et d’étonnements. Il suppose toujours une totale liberté.
Tu utilises donc la photographie comme un chemin vers l’œuvre, pas comme une fin en soi.
La photographie, pour moi, se veut à chaque fois un travail de recherche, un chemin qui m’engage vers une création toute personnelle. Ce qui m’inspire c’est la beauté du vivant, c’est aussi l’imaginaire, le rêve. Mes images sont investies de poésie et de mystère. En puisant dans le monde végétal et minéral, floral et animal, l’espace est alors traversé par une vibration, une tension, c’est ce qui me fascine.
Dans mes images proches de la nature, je m’inspire souvent de la pensée orientale tout autant que de l’art calligraphique. Très sensible à la typographie, je me laisse envoûter par l’art oriental. Ma motivation en photographie, c’est l’esprit de découverte. L’image reste pour moi au service de l’imaginaire. Je recherche une poétique du beau. Je recherche toujours à intégrer dans mon travail l’émotion première mêlée à une interrogation sur la perception que je peux avoir de l’image. J’aime travailler la matière, la simplicité du trait, son dépouillement, la composition, la fragmentation, l’abstraction. Au plaisir de la prise de vue, s’ajoute le plaisir du geste créatif.
Comment t’es venue cette idée de mêler plusieurs techniques?
Dans le cadre de mon travail photographique, j’avance toujours sur un chemin d’exploration et de recherche. D’où l’envie et l’idée de mêler plusieurs techniques. C’est chez moi le goût de l’aventure et de la découverte qui prime. Techniques argentiques et numériques, tirages sur la soie, scanographies, rayogrammes, collages et montages, toutes ces pratiques mêlées, m’ouvrent vers des espaces nouveaux et parfois surprenants, étonnants.
Quelle est ta formation ?
J’ai d'abord étudié la littérature à l’Université Paul Valéry de Montpellier. La littérature, les mots et l’écriture sont ma première passion. Après l’obtention d’une Licence, d’une Maîtrise et d’un DEA en Lettres, j’ai exercé la profession d’enseignante, de transmission des savoirs.
C’est lors d’un séjour en Bretagne, dans le Haut-Léon, que je redécouvre la photographie avec fascination, photographie que j’ai pratiquée très jeune avec mon père, photographe amateur, qui m’a initié à l’art photographique, au cadrage et à la lumière.
De retour à Paris, cette passion puissante de la photographie, me pousse à apprendre le métier de photographe et la technique argentique. Pendant deux ans, je suis une formation photographique, diplômante et professionnelle au Centre Jean Verdier à Paris auprès du photographe Carlo Werner. C’est en 2010 que je deviens, auteur photographe professionnelle. Je travaille la photographie d’art en noir et blanc comme en couleurs et expose mes œuvres dans des galeries et salons. C’est un métier passionnant fait de créativités, de remises en questions permanentes et aussi de belles rencontres et d’échanges.
Les oiseaux, les fleurs, l’eau… La nature a une place importante dans ce que tu nous proposes. En quoi est-elle si inspirante ?
Toute jeune, j’ai été baignée au contact de la nature avec mes grands-parents lozériens et agriculteurs : l’importance de la terre, des animaux et le respect de la nature. Savoir la regarder, l’apprécier, la protéger. Tout cela s’est inscrit à jamais en moi. La force créatrice est dans la nature. Et j’y puise mon inspiration. J’aime regarder avec attention ce qu’elle nous offre. J’aime voyager au cœur du vivant. C’est ce que je veux saisir et faire partager à travers mes photographies. S’émerveiller par la beauté de la nature et par son éclat. La nature est une source d’inspiration permanente pour moi. Elle est un thème récurrent dans mon travail de photographe.
J’ai toujours aimé les oiseaux, symbole de liberté, de présence absolue, à l’image de l’arbre qui les accueille. J’ai toujours aimé la beauté des arbres, en hiver comme au printemps. J’ai, à chaque fois, été captivée par le microcosme révélé des fleurs. J’ai aussi le souvenir de l’eau du Tarn avec ses galets et ses reflets, la profondeur du ciel étoilé de Lozère en été.
Mon inspiration en tant que photographe a été nourrie et continue de l’être grâce à la nature et à ses offrandes. Inspiration/Respiration, ce pourrait être le leitmotiv qui scande mon travail de photographe.
Quel est ton lien avec la Lozère ? Et quel est le lien entre tes œuvres et la Lozère ?
Je suis petite-fille et arrière-petite-fille d’une famille lozérienne. Mes grands-parents étaient agriculteurs. J’ai passé toutes les vacances de mon enfance et de mon adolescence dans la maison de mes grands-parents maternels, à Blajoux, dans les Gorges du Tarn.
Que de souvenirs chaleureux et joyeux avec les saveurs et les parfums des plats cuisinés par ma grand-mère, une maison familiale toujours très vivante avec des grands repas où voisins et amis étaient conviés. Les souvenirs heureux d’une maison familiale toujours entourée d’animaux avec les chiens fidèles, les lapins, les poules, les chèvres et les brebis. Le jardin avec ses légumes, ses fleurs, ses plantes vertes et ses papillons, la culture des vignes, des amandiers, des arbres fruitiers. Je me rappelle aussi la joie des baignades estivales dans la rivière, les promenades sur le Causse, la cueillette des champignons, les châtaignes cuites au feu de bois, les histoires du pays lozérien racontées au coin de la cheminée où les sarments de vigne alimentaient le feu.
Toutes ces sensations, ces expériences olfactives et visuelles se sont inscrites en moi et plus tard se sont révélées au cœur de ma pratique photographique comme un trésor mémoriel. C’est un trésor et une grande chance d’avoir, dès mon plus jeune âge, était au contact de la nature lozérienne, de ses attraits et de ses richesses multiples.
Peux-tu nous présenter ton exposition, visible en ce moment à La Maison de la Lozère ? Exposition durant laquelle tes photos sont d’ailleurs en vente…
Mon travail de photographe est très éclectique. Mon exposition à La Maison de la Lozère se compose de plusieurs travaux de recherche avec les thèmes : « Nature et Envols », « Floralies », « Abstraction/Fragmentation », « Ombres chinoises » et « Infiniment bleu ».
Mes œuvres, en série limitée, sont à la vente. Elles sont signées, titrées, numérotées et accompagnées de leur certificat d’authenticité.
Le fil conducteur de mon exposition « Une part de Merveilleux », c’est d’abord mon goût pour les couleurs vives, l’attraction du bleu, du rouge, de l’orangé, des couleurs qui engendrent force de vie, joie et émotion. Je vous propose de m’accompagner dans ces paysages de couleurs, de formes que j’aime tant découvrir derrière mon objectif, le tout photographié en lumière naturelle. C’est aussi le goût pour l’imaginaire, pour le rêve avec un travail de composition qui peut atteindre à l’abstraction et au fractal, travail que l’on retrouve dans mes œuvres intitulées Cubique, Rubis, Abstraction florale et Turquin.
C’est le goût du mystère, le goût du beau avec le bleu des fonds marins et de l’espace, couleur récurrente dans mon travail, avec mes œuvres « Infiniment bleu » et « Plongée dans le bleu ». Enfin c’est le goût pour la matière avec des tirages que je réalise moi-même sur du papier texturé 100% coton de qualité musée. J’ai ainsi une totale maîtrise du résultat. Je me suis toujours intéressée au papier, à sa structure, à son grammage, à son relief. A chaque tirage, j’avance sur un chemin de recherche : donner à mon image le meilleur d’elle-même par le choix du papier qui saura pleinement la révéler. Je réalise certains de mes tirages sur de la soie avec mes œuvres « Ombre chinoise » et « Au gré de l’air ». Je donne ainsi à mon image une approche plus picturale, avec des effets d’optiques particuliers.
Pourquoi cette exposition s’appelle-t-elle « Une part de merveilleux » ?
Je tente toujours de m’approcher de ce qui m’est essentiel : rester capable d’émerveillement et de surprise, rester accueillante à cette magie unique et éphémère de l’instant photographique pour en saisir toute la poésie. C’est l’esprit de Noël que j’ai voulu mettre en avant en choisissant comme titre de mon exposition « Une part de Merveilleux ». C’est le goût de l’émerveillement en ces périodes de fêtes, avec Noël qui est, par excellence, la fête du merveilleux, du rêve, des lumières. Être à chaque fois émerveillé par la beauté des choses qui nous entourent, par la nature et ses trésors. Voyager avec bonheur au cœur du microcosme et du vivant. Regarder avec l’œil de l’émerveillement, de l’étonnement et de la surprise.
Tu travailles les images mais également les mots. La poésie et la photographie sont-elles étroitement liées ?
En étant auteur photographe, c’est à la fois l’écrit et l’image que je sollicite, deux modes d’expression qui me permettent de m’engager sur un chemin créatif. Avec mon goût pour les mots et pour la littérature, j’aime à mêler l’écriture à la photographie aussi j’écris des poèmes en lien avec mes images. Je pars toujours de l’image. Une fois réalisée ma prise de vue, le travail sur l’image et l’impression finale sur papier d’art, si l’inspiration me vient, j’écris quelques lignes sur mon ressenti, sur ce qui me traverse et qui m’émeut.